Cette année, j’ai vécu une soirée absolument inattendue : dix expositions en quelques heures, au cœur de Saint-Germain-des-Prés, entre galeries confidentielles, institutions culturelles et lieux parisiens chargés d’histoire.
Une excitation pure de passer d’un univers à l’autre, d’être emportée par la diversité des regards et la poésie des images. PhotoSaintGermain, c’est exactement ce genre de moment : une déambulation où la photographie s’invite derrière chaque porte poussée, où chaque salle semble ouvrir un nouveau chapitre, où l’on se surprend à sourire simplement parce qu’on est là, au bon endroit, entourée d’art.

C’est complètement gratuit et ouvert à tous ! Ce quartier est déjà magnifique, mais ce soir-là, la photographie l’a rendu encore plus poétique, presque magique. Comme pour Arles, impossible de tout résumer. Alors je vais me concentrer sur ce que j’aime vraiment raconter : mes chocs visuels, mes obsessions immédiates, mes vraies claques.

Avant ça, remettons les choses dans leur contexte : PhotoSaintGermain, c’est quoi ?
Un parcours photographique qui, chaque année, transforme Saint-Germain-des-Prés en terrain de jeu artistique. Musées, galeries, centres culturels, librairies : tout le monde s’y met. C’est un festival avec une vraie identité, ancré dans un quartier chargé d’histoire, mais aussi un espace où la création contemporaine s’invite, chuchote, bouleverse, questionne.
On y croise des photographes émergents, des grands noms, des commissaires passionnés, des amateurs, des collectionneurs, des étudiants d’art épuisés mais heureux. Et ça parle, ça débat, ça interroge la photographie d’aujourd’hui. Bref : c’est vivant.
TOP 1 — Galerie Le Minotaure avec Florence Henri, la géométrie sensible

Première claque de la soirée : Florence Henri.
Je savais à quoi m’attendre — miroirs, reflets, avant-garde — mais rien ne m’avait préparée à cette précision presque musicale. Ses images des années 20 et 30, toutes tirées du vivant de l’artiste, ont quelque chose d’hypnotique : une rigueur folle et pourtant, paradoxalement, une douceur. Les perspectives s’entrechoquent, les lignes se répondent, le réel se déforme dans une élégance silencieuse.
On sent à chaque photo l’influence du Bauhaus… mais on sent surtout une femme qui, déjà, refusait d’être sage dans sa manière de regarder le monde. Une pionnière oubliée, puis redécouverte, qui revient aujourd’hui comme une évidence : Florence Henri n’est pas seulement une technicienne brillante, c’est une poétesse de la forme.
Je suis sortie de la galerie avec l’impression d’avoir pris une claque visuelle mais aussi une leçon de perspective.
TOP 2 — Galerie Amélie du Chalard avec Charlotte Bovy, Amélie Chassary et Thomas Dhellemmes : La mémoire qui vacille

Ici, changement de rythme. On entre dans un univers plus intime, presque flottant. Tout d’abord, nous avons été surpris par la beauté de la galerie, elle est si belle, si gracieuse et chaque matière est bien pensée.
Les trois artistes (Charlotte Bovy, Amélie Chassary et Thomas Dhellemmes) réunissent tissent une sorte de récit commun, un territoire de souvenirs brouillés où tout semble à la fois familier et étrange. Ils travaillent chacun dans leurs coins mais leurs travaux se répondent, ils font sens les uns avec les autres.. La mémoire familiale est ici au coeur du propos, comme une boîte remplie de photos peut inspirer le travail d’une série..
J’ai adoré cette sensation de marcher dans une mémoire qui se réinvente.
Les photographies glissent vers l’abstraction, flirtent avec le rêve, prennent le temps de respirer. Rien n’est là pour expliquer leurs photographies : tout est là pour ressentir.
On ressort pensif/un peu ailleurs, c’est cette sensation exactement comme quand un souvenir nous revient sans prévenir et change, l’air de rien, notre humeur de la journée.
Mon coup de coeur artistique: Charlotte Bovy ❤️
TOP 3 — Galerie Berthet-Aittouarès avec Letizia Battaglia & Franco Zecchin : Chroniques siciliennes

Dans cette expo dans la galerie Berthet-Aittouarès, on arrête de respirer. J’ai rencontré le travail de Letizia Battaglia à Arles cet été et c’était une rencontre tellement marquante que j’étais si contente de revoir son travail.
Battaglia et Zecchin ne racontent pas la Sicile : ils la témoignent. Ils la portent, ils la saignent, ils la révèlent dans toute sa dureté et sa beauté. Les années 80, la mafia, la violence, mais aussi les gamins dans la rue, les couples qui rient, les gestes du quotidien.
Ce qui m’a frappée, c’est le double regard : deux photographes, un même territoire, deux sensibilités qui se répondent sans s’écraser. On passe d’un cliché insoutenable à un moment de tendresse inattendu et on comprend que la photographie peut être un acte de résistance autant qu’un acte d’amour.
J’ai repensé à Arles. J’ai repensé à ma mère émue. Et j’ai pensé que certains artistes arrivent à nous rendre plus lucides… tout en nous rendant plus humains.
TOP 4 — Galerie du Crous de Paris x CNAP avec Ailleurs est imminent (Philippe Calia, Victoire Thierrée, Alexandra Dautel et Elliott Verdier)

Quatre artistes (Philippe Calia, Victoire Thierrée, Alexandra Dautel et Elliott Verdier), quatre écritures, une même obsession : traquer les traces.
Traces de paysages, de conflits, de récits, de mémoires fissurées.
Leur travail oscille entre documentaire et fiction, avec ce doute délicieux qui nous fait hésiter : est-ce réel ? Est-ce une reconstruction ? Est-ce que ça a de l’importance ?
Ce que j’ai aimé ici, c’est l’impression d’être entraînée dans une enquête — mais une enquête sensible, presque tactile. Les images semblent chargées d’un passé qui refuse de disparaître. Elles parlent du temps, des frontières, des blessures, mais sans lourdeur : avec une finesse qui laisse de l’espace au spectateur.
C’est une exposition qui demande de ralentir. Elle récompense celles et ceux qui prennent le temps de regarder.
Merci à la médiatrice pour ces mots qui ont été tellement précieux pour nous permettre de comprendre et de rentrer dans l’exposition. Cette place dans le TOP 4, lui est 100% dédié.
TOP 5 — Maison d’Auguste Comte avec Emilio Azevedo: Rondônia (comment je suis tombé amoureux d’une ligne)

C’est une des expositions de la soirée, des plus déroutantes.
Le photographe, Emilio Azevedo raconte l’Amazonie en remontant des routes tracées au début du XXe siècle. Dit comme ça, on imagine un reportage classique… mais ce n’est pas du tout ce que l’on voit. Son travail navigue entre documentaire et fiction, entre archives et création pure. On doit enquêter pendant l’exposition, qu’est ce qui est une oeuvre ? qu’est ce qui ne l’est pas ?
On sent le poids de l’histoire, la complexité des territoires, la violence coloniale, mais aussi une forme de fascination pour la géométrie du paysage. Une ligne, une route, un tracé : et tout un monde s’enclenche.
Petit coup de coeur pour la scénographie extrêmement intelligente ❤️
L’exposition fait dialoguer ses images avec les archives du Musée du quai Branly, ce qui crée une sorte de tension magnifique entre passé et présent. On ressort en se posant mille questions, mais c’est surement la meilleure preuve que c’était réussi.
Pour conclure…
En quittant Saint-Germain-des-Prés, j’avais cette sensation rare d’être exactement là où je devais être. Dix expositions plus tard, j’étais lessivée mais portée, nourrie mais encore curieuse, habitée par des images qui allaient rester.
- Florence Henri m’a emmerveillé avec ses miroirs.
- Battaglia et Zecchin m’ont serré le cœur.
- Bovy, Chassary et Dhellemmes m’avaient plongée dans la mémoire.
- Calia, Thierrée, Dautel et Verdier m’avaient rappelé l’importance de la mémoire familliale
- Azevedo m’avait donné envie de relire toute la géographie autrement.
Et au milieu de tout ça, le quartier lui-même — ses lumières, ses rues, ses librairies, ses galeries — avait pris des allures de décor parfait.
PhotoSaintGermain m’a laissée avec cette impression précieuse : que la photographie peut transformer une simple soirée en une parenthèse lumineuse, qui continue de briller longtemps après.
— Flavie

